Alexandre Arrobbio, représentant résident de la Banque mondiale pour la Tunisie, assure que la Banque est prête à aller de l’avant avec la Tunisie, qui cherche des financements extérieurs face à la pression qui pèse sur son économie. Mais, malgré la difficulté et la sensibilité de la situation économique, la Tunisie peut s’en sortir et elle est plus que jamais dans les radars des investisseurs internationaux. Dans ce sens-là, les bonnes nouvelles ne viennent jamais seules et ne manquent pas. Après avoir annoncé un nouveau Cadre de partenariat avec la Tunisie, le bailleur de fonds a annoncé avoir approuvé un financement de 268 millions de dollars en faveur du projet d’interconnexion Tunisie-Italie (Elmed). Plus de détails dans cette interview.
Comment jugez-vous l’état actuel de la collaboration entre la Tunisie et la Banque mondiale ?
La Tunisie et la Banque mondiale ont fait preuve d’une forte collaboration, qui remonte à plus de 50 ans et qui a permis, au fil des années, de renforcer les synergies et complémentarités entre les deux parties ainsi qu’une relation de confiance très solide.
Depuis le début de cette collaboration, notre institution a maintenu un dialogue ouvert et sincère avec les autorités tunisiennes. En outre, les programmes que nous finançons sont systématiquement issus de requêtes des gouvernements et émanent des stratégies nationales, comme c’est le cas actuellement avec la Vision Tunisie 2035 ou le Plan national de développement 2023-2025.
Un effort concerté qui a apporté ses fruits avec des financements significatifs de la Banque mondiale, estimés à un portefeuille de prêts de plus de 2,8 milliards de dollars, ce qui est le montant le plus important depuis une douzaine d’années.
Par ailleurs, sur les 18 derniers mois, nous avons déployé un effort considérable et mené un travail notable, à travers le financement d’actions à forte dimension sociale pour un montant de plus d’un milliard de dollars.
Aujourd’hui, nous sommes dans la continuité de cette coopération qui a commencé avec des projets d’éducation à l’époque du Président Bourguiba, avec différents types d’interventions telles que la contribution au débat, l’expertise et bien sûr les financements.
Où en sommes-nous, aujourd’hui, entre ce qui a été fait réellement et ce qui aurait été possible de faire ?
Le précédent Cadre de partenariat (ou stratégie pays) 2016-2021 n’a pas atteint l’ensemble des objectifs fixés (20% des objectifs totalement atteints) et a expérimenté des défis en matière de mise en œuvre. Ceci a été dû notamment au contexte socioéconomique et aux fréquents changements de gouvernements durant cette période, et au niveau d’ambition trop élevé de certains projets.
Dans ce cadre, il est important de signaler que notre appui pour faire face aux crises liées au Covid-19 et au conflit en Ukraine a contribué, avec plus d’un milliard de dollars depuis 2021, aux campagnes de vaccination et à la fourniture de matériels de santé d’urgence, au programme «Amen» de protection sociale, ainsi qu’à la sécurité alimentaire.
Tirant les leçons de la période précédente et afin d’atteindre les objectifs définis, le nouveau Cadre de partenariat 2023-2027 met l’accent sur la mise en œuvre des programmes avec une démarche à la fois flexible, sélective et ciblée, qui s’adapte au contexte et aux défis qui s’imposent.
Actuellement et dans ce même cadre, à quoi la priorité sera accordée ?
Notre nouveau Cadre de partenariat 2023-2027 propose, en fait, trois résultats principaux, basés sur les stratégies nationales : la création d’emplois dans le secteur privé, le renforcement du capital humain et l’amélioration de la résilience aux changements climatiques. Ces trois résultats sont accompagnés de deux thèmes transversaux : l’inclusion des femmes dans l’économie et la participation citoyenne.
En outre, afin d’assurer une forte sélectivité, particulièrement nécessaire dans le contexte actuel, le Cadre de partenariat pays se concentrera dans sa première phase sur trois priorités stratégiques immédiates pour la Tunisie.
Il s’agira, d’une part, des énergies renouvelables qui représentent une opportunité unique pour la Tunisie avec comme objectifs de rapidement passer à 35% de la consommation et de devenir un hub régional d’énergie renouvelable. Pour ce faire, il est plus que jamais temps d’encourager et de mobiliser toutes les parties prenantes pour faire un grand bond en avant sur cette ambition. D’autre part, le Cadre de partenariat continuera d’appuyer la résilience sociale à travers les programmes de protection sociale, de sécurité alimentaire, et de fournitures médicales d’urgence. Enfin, un meilleur accès aux financements pour les PME, ce qui est critique pour la croissance et l’emploi.
Quels sont les grandes lignes et les objectifs du nouveau cadre de partenariat-pays, tant attendu ?
Pour chacun des trois résultats principaux que je viens de citer (création d’emplois, capital humain et gestion des ressources naturelles), le Cadre de partenariat inclut aussi des objectifs spécifiques comme l’accès aux financements pour les PME et les start-up, l’amélioration de la qualité de l’enseignement primaire, la résilience des ménages aux chocs, la question de l’eau et une meilleure capacité de production des énergies renouvelables.
Par ailleurs, je tiens à revenir sur les questions de mise en œuvre. Ce Cadre de partenariat comprend une série d’instruments permettant de donner à cette stratégie une flexibilité et un niveau de sélectivité plus importants.
Avec ce Cadre de partenariat, nous espérons aider la Tunisie à faire une forte avancée en matière d’énergies renouvelables et à mieux gérer le stress hydrique, ce qui contribuera à améliorer la résilience aux changements climatiques et à réduire les émissions de carbone.
Ce cadre s’attachera également à renforcer le capital humain avec en particulier une meilleure qualité de l’éducation de base et une plus forte résilience sociale de la population, en particulier des plus vulnérables. Ce Cadre devrait aussi permettre un meilleur accès aux financements des PME pour aider le secteur privé à créer un emploi de qualité.
La semaine écoulée, l’institution internationale a approuvé 268 millions de dollars en faveur du projet «Elmed». Pouvez-vous nous fournir plus de détails sur ce projet ?
Le projet d’interconnexion Tunisie-Italie (Elmed), le premier du nouveau Cadre de partenariat 2023-2027, reliera les réseaux électriques de la Tunisie et de l’Europe et soutiendra l’essor du marché des énergies renouvelables par l’intermédiaire d’un câble sous-marin de 600 mégawatts.
Soutenu par le gouvernement italien, l’Union européenne, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque européenne d’investissement et la Banque allemande de développement (KfW), ce projet renforcera, également, le partenariat de long terme entre la Banque mondiale et le gouvernement tunisien dans le secteur de l’énergie.
Ce projet peut être le point de départ de l’ambition tunisienne d’augmenter rapidement la part de l’énergie renouvelable (35%) dans la consommation totale d’électricité. En effet, ce projet est un point critique de la transition énergétique de la Tunisie qui pourrait permettre d’assurer une meilleure souveraineté énergétique, d’exporter de l’électricité, de contribuer à la balance des paiements, d’augmenter la compétitivité des entrepreneurs par une énergie moins chère et de générer de nouvelles filières d’emplois. Elle sera par ailleurs nécessaire pour maintenir les exportations vers l’Union européenne après la mise en place de la taxe carbone en 2030.
Aujourd’hui, les énergies renouvelables sont un élément indispensable pour le développement durable d’un pays et pour la concrétisation de sa stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques. Cette alternative représente, donc, une opportunité unique pour la Tunisie.
Tous les éléments d’un cercle vertueux plus durable et profitable sont, ainsi, réunis pour faire des énergies renouvelables une importante source d’énergie en Tunisie, tout en créant des emplois respectueux du climat. Ceci pourrait aussi être un levier essentiel du redémarrage de l’économie et la clé de voûte d’une nouvelle phase de croissance en Tunisie.
A cela, on ajoute l’existence de cette dynamique et de ce fort intérêt des partenaires européens et des investisseurs, nationaux et étrangers, pour accélérer la mise en œuvre de ce plan et l’accélération, dès maintenant, de cette transition.
D’une manière générale, comment évaluez-vous la situation économique du pays et quelle est votre approche pour dépasser cette crise et ces obstacles sur la voie du changement ?
La situation actuelle est, en partie, le résultat de la faible croissance de ces dix dernières années avec d’importantes dépenses publiques et la persistance d’obstacles importants dans le climat des affaires. Situation qui avait été aggravée par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, et qui avait abouti à une augmentation du chômage et de l’endettement. Face à ce tableau qui ne semble pas trop rassurant, aujourd’hui la priorité doit être accordée à l’économie.
Avec une croissance estimée à 2,3% pour 2023 et de nombreux défis économiques, la situation actuelle nécessite aussi de revenir à un meilleur équilibre budgétaire ainsi que d’aider l’économie à se libéraliser. Encore une fois, une forte avancée dans le domaine des énergies renouvelables contribuerait fortement à la croissance.
Quel est l’impact d’un non-accord avec le FMI sur ce partenariat ?
Pour l’instant, on ne peut pas dire qu’il n’y aura pas d’accord entre la Tunisie et le FMI. De notre côté, ce nouveau Cadre de partenariat a été conçu pour être flexible et s’adapter au contexte et aux besoins de la Tunisie.
Ainsi, nous travaillons actuellement avec le gouvernement principalement sur des questions de développement durable comme les énergies renouvelables et l’eau, ainsi que sur des programmes ayant une forte dimension sociale et visant à renforcer le secteur privé.